Culture d'entreprise
C’est quoi ta culture ?
Bertrand aimerait bien que Jan, cet excellent CV avec qui il discute depuis dix minutes sur le net, puisse lui répondre « C'est quoi ta culture ? Est-elle compatible avec celle de mon entreprise ? ». Mais on ne peut aborder les choses ainsi avec un postulant, saurait-il seulement y répondre ?
Bertrand est « chasseur de tête ». Il doit trouver pour son client un collaborateur qui apporte du sang neuf au service marketing. La marque est solidement implantée à La Réunion comme une référence de tradition. Un nouvel élément - neuf de l’histoire réunionnaise - devrait les aider à inventer de nouvelles lignes et pourquoi pas rajeunir la marque.
Toute la question pour Bertrand est de trouver un candidat qui s’adaptera à la Culture de l’entreprise qui va l’accueillir.
C’est quoi ta culture d’entreprise ? C’est la question qu’il aurait aimé pouvoir poser à son client …
Bien sûr, si vous deviez parler de la culture de votre entreprise, vous répondriez culture de service ou industrielle, familiale ou centrée sur les compétences, l’humain ou l’attachement au territoire … cela suffira-t-il à vous décrire pleinement à un futur collaborateur, investisseur ou client ? Et inversement comment évaluer la compatibilité entre ce nouveau partenaire et notre manière de fonctionner ?
Il s’adaptera ! Serait-on tenté de dire mais si l’on veut y regarder de plus près, il possible de se décrire, se comparer et s’inspirer méthodiquement des autres cultures.
Geert Hofstede** nous propose quatre axes significatifs permettant de décrire les tendances culturelles des cinq continents face au management d’entreprise.
« Chez nous c’est structuré, il y a une hiérarchie à respecter, … » Cela conviendra-t-il à notre nouvelle recrue ? A-t-il le profil du proche collaborateur ou se tiendra-t-il à distance de ses managers ?
La distance à la hiérarchie représente la capacité à accepter l’inégalité face à ses managers. Les structures pyramidales supposent une distance faible, une forte dépendance à la hiérarchie pour exécuter les procédures convenues. Ces organisations se retrouvent fortement près de l’équateur comme en Europe (France, Italie, Belgique, Espagne) et d’autant plus fortement que la population est grande. Une administration centralisée sera donc difficile à vivre pour une culture de distance grande comme dans les pays anglo-saxons, germaniques et scandinaves, beaucoup moins dépendants du fonctionnement hiérarchique.
A contrario, les collaborateurs montrant de l’importance à la hiérarchie seront très friands de la valorisation par les titres, les fonctions et tous les signes ostentatoires comme la voiture de fonction, la plaque sur la porte ou la taille du bureau ! Le nombre d’assistants autour des dirigeants est également un signe qui ne trompe pas.
Les petits territoires tendent à réduire cette distance à la hiérarchie. Ainsi, notre tendance française à la centralisation est nettement tempérée à La Réunion par notre promiscuité insulaire.
« Nous sommes une grande famille, l’esprit d’équipe est important pour nous » Nombreux sont les dirigeants qui ne comprennent, et n’arrive pas à intégrer, les jeunes générations jugées trop individualistes.
Communautarisme ou individualisme ?
Les sociétés communautaires favorisent le temps passé en groupe. Chacun cherche un rôle social dans l’organisation, la simple relation « alimentaire » au travail n’est pas suffisante. La recherche de l’utilité au groupe est importante. Les collaborateurs montrent un besoin de soutien et d’assistance par l’encadrement et par la formation. Les relations sont basées sur la confiance, une obligation mutuelle, voire morale, de type familiale. Le deal implicite entre le salarié et son entreprise est plutôt de l’ordre protection contre loyauté. L’Afrique de l’ouest en est particulièrement empreint (20/100)*.
Les individualistes vont plutôt valoriser le temps passé pour leur vie personnelle. Au travail ils seront en recherche de liberté d’action, de défis à relever. La relation au travail est basée sur un simple calcul économique gagnant/gagnant. Il n’y a donc pas de relation affective à l’entreprise au-delà du contrat. Ces comportements sont d’autant plus présents que la société est riche. Les USA et le Royaume Uni sont les plus fortement marqués (90/100)*.
Il s’agit de deux comportements extrêmes cependant les positions intermédiaires sont difficiles à tenir. Une vraie souffrance éthique peut apparaître rapidement, notamment chez les cadres et le front office. Cette approche est majeure au regard des conflits en entreprise. Un état d’esprit communautaire évitera plutôt le conflit, privilégiant le maintien d’une paix sociale et évitant à tout prix que l’un des protagonistes perde la face. La culture individualiste considèrera un conflit comme salutaire car il permet de « crever l’abcès et passer à autre chose ».
La bonne adéquation entre le management que l’on mène, celui que l’on affiche, celui qui nous convient et celui qui est acceptable pour ses collaborateurs est une question centrale dans le coaching des cadres et des équipes.
« Aujourd’hui c’est impossible de travailler correctement, on ne peut rien planifier à plus d’un mois ! »
La relation à l’incertitude
Nous ne sommes pas tous égaux face à l’incertitude. La capacité de l’entreprise à réagir à son environnement, à faire face à l’imprévisibilité des événements renvoi à l’abord du risque par chacun.
Certaines cultures favorisent ou non la prise de risque. Le désir de contrôler l’incertitude génère des comportements pour tenter de mieux contrôler l’environnement : on multiplie les outils de prévision, les procédures standardisées. Cette recherche de stabilité, d’ordre, de discipline est là pour masquer cette peur du risque. Paradoxalement, cela ne fonctionne pas, l’on constate dans de telles entreprises que les collaborateurs sont plus anxieux, émotifs et agressifs que la moyenne.
Cette recherche de contrôle est très présente dans les pays latins et plus particulièrement au Japon.
A l’inverse, les pays scandinaves, anglo-saxons, du sud-est asiatique et les pays en voie de développement acceptent beaucoup mieux les situations ambigües, où l’avenir n’est pas certain. S’il n’y a pas de lien avec le niveau de développement d’une communauté, ce besoin de contrôle est très lié aux sociétés individualistes, là où les sociétés communautaires apportent un sentiment de sécurité qui permet d’oser le risque.
Ainsi pour développer le goût du risque de vos collaborateurs, il n’est pas recommandé de « tout sécuriser » mais seulement de montrer un soutien collectif quelle que soit l’issue de la prise de risque.
« Il y a trop d’hommes dans ce service ! Un peu de féminité adoucirait les relations … »
S’il ne s’agit pas ici de valider les comportements sexistes, Hofstede met en avant une caractéristique importante des groupes quant à leur vision de la vie idéale en société.
L’orientation masculine ou féminine des valeurs de l’entreprise. Certaines populations ou entreprises vont préférer la réussite et la possession comme valeurs communes et d’autres l’environnement social et l’entraide comme facteur de développement pérenne.
Les populations étudiées ne se présentent pas comme « très masculines » ou « très féminines » dans leurs valeurs, seules des tendances sont observées, du gris clair au gris foncé. A titre d’exemple, les Pays Bas véhiculent des valeurs plutôt féminines (14/100)* alors que les USA, l’Allemagne, le Royaume-Uni, et surtout le Japon (95/100)* vont avoir une vision plutôt masculine. La France est équilibrée sur ces valeurs, il y a autant d’organisations d’un type que de l’autre.
Cependant, les valeurs que véhiculent l’entreprise sur ce plan vont conditionner fortement les choix de développement et les équations impossibles au jour le jour en entreprise : croissance économique/protection de l’environnement/intérêt des salariés/cohésion sociale/solidarité/justice/performance/efficacité/sécurité … De fait cela influe directement sur les notions d’équilibre vie privée/vie professionnelle, sur les modes d’organisation et de coopération, sur le mode de valorisation des collaborateurs et sur la manière de résoudre les conflits.
Ainsi les valeurs portées par l’entreprise conditionnent l'attractivité de cette entreprise pour les recrues de choix et peuvent contribuer au turn-over.
N.B. Si Hofstede propose une approche simple d’accès, d’autres auteurs comme Trompenaars (consultant et auteur néerlandais dans le domaine de la communication interculturelle) ont développés des modèles plus complexes avec des apports intéressants comme la relation à la nature-je domine/je me soumet à la nature qui permet de comprendre l’attitude de certaines nations face aux questions d’environnement, ou à la relation au temps – l’histoire se répète-t-elle ? – qui conditionne le rapport à l’efficacité immédiate.
A partir de ces quatre simples éléments d’analyse, de nombreuses applications sont utilisables :
- Dans l’analyse de nos propres motivations au travail,
- Dans l’analyse de notre management face à nos collaborateurs,
- Dans l’analyse des phénomènes sociaux au sein de l’entreprise et des composantes du stress au travail,
- Dans l’analyse de la compatibilité de votre entreprise avec votre marché, vos partenaires et bien sûr avec vos clients, notamment à l’export,
- Enfin, cette réflexion est essentielle lors de montage de projets multipartenariaux.
Vous l’aurez compris, les outils qui en découlent ne peuvent malheureusement pas être des instruments « prêts à l’emploi », ils doivent nécessairement se dimensionner à votre structure et votre problématique.
Yves TEILLAC
Coach LINK
** Geert Hofstede psychologue néerlandais né en 1928
* Tableau de données HOFSTEDE
Distance à la Hiérarchie |
Individualisme (100) Communautarisme (0) |
Masculin (100) Féminin (o) |
Contrôle de l'incertitude | |
Afr. Ouest | 77 | 20 | 46 | 54 |
Allemagne | 35 | 67 | 66 | 65 |
Danemark | 18 | 74 | 16 | 23 |
USA | 40 | 91 | 62 | 46 |
France | 68 | 71 | 43 | 86 |
UK | 35 | 89 | 66 | 35 |
Japon | 54 | 46 | 95 | 92 |
Pays Bas | 38 | 80 | 14 | 53 |
Russie | 95 | 47 | 40 | 75 |